La proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe
La proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe
En résumé :
Une proposition de loi actuellement devant le Senat aurait pour effets principaux de :
- Abroger les sept régimes législatifs des actions de groupe existants,
- Créer un régime unifié avec un socle procédural universel. Peu importe le fondement de l’action, les mêmes recours seront disponibles et tous les préjudices (corporels, matériels et moraux) seront indemnisables,
- Elargir le champ d’application personnel de l’action de groupe,
- Préciser le recours au médiateur dans le cadre de l’action de groupe,
- Créer un registre public des actions de groupe en cours,
- Mettre en place des tribunaux judiciaires spécialisés qui connaitront l’ensemble des actions de groupe,
- Donner au juge la faculté d’ordonner la prise en charge des frais de procédure, en tout ou partie, par l’Etat,
- Instaurer une nouvelle sanction civile dans le Code civil en vue de réduire des comportements professionnels fautifs,
- Permettre, sous conditions, l’action de groupe transfrontière.
Le 8 mars 2023[1], l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe. Ce texte, transmis au Senat le 9 mars[2], prévoit la création d’un régime juridique unifié des actions de groupe. Cette uniformisation concerne tant la procédure de l’action de groupe que le type de préjudice indemnisable. La proposition de loi abroge les sept régimes législatifs existants et instaure un socle procédural universel de l’action de groupe. Par ailleurs, elle précise que l’action de groupe peut être exercée afin d’obtenir soit la cessation du manquement, soit la réparation des préjudices, soit la satisfaction de ces deux prétentions. Auparavant, le préjudice indemnisable dépendait du fondement de l’action. Désormais, quel que soit le domaine concerné par l’action, seraient indemnisables les préjudices corporels, matériels et moraux.
Choix légistique
La proposition de loi initiale prévoyait d’insérer le régime juridique universel de l’action de groupe dans un titre XV bis du Livre III du code civil (« Des différentes manières dont on acquiert la propriété ») intitulé « Des actions de groupe ». Cependant, ce choix a été critiqué, le Conseil d’Etat estimant dans son avis du 9 février 2023[3] que ce choix légistique n’était pas approprié, les dispositions sur l’action de groupe constituant des règles procédurales qui s’appliquent à la responsabilité, sans modifier les règles de fond qui régissent la matière. Le Conseil d’Etat a relevé qu’il n’était pas non plus approprié d’insérer le régime dans le Code de procédure civil dont la nature est réglementaire, le régime de l’action de groupe ayant un caractère législatif. Ainsi, la haute juridiction administrative a recommandé l’inscription de ce régime dans une loi non codifiée dédiée à l’action de groupe. Un amendement dans ce sens a été adopté par l’Assemblée nationale.
Extension de la qualité pour exercer une action de groupe
La proposition de loi élargit le champ d’application personnel. L’article 1er bis prévoit que l’action de groupe peut être exercée par :
- Les associations agréées ;
- Les associations régulièrement déclarées depuis au moins 2 ans, dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte ;
- Les associations régulièrement déclarées agissant pour le compte soit d’au moins 50 personnes physiques, soit d’au moins 5 personnes morales inscrites au RCS, soit d’au moins 5 collectivités territoriales ;
- Les organisations syndicales représentatives (en matière de lutte contre les discriminations, de protection de données personnes, ou lorsque l’action de groupe concerne le manquement d’un employeur) ;
- Les entités qualifiées figurant sur la liste dressée par la Commission européenne en application du paragraphe 1 de l’article 5 de la directive (UE) 2020/1828 du 25 novembre 2020, lorsque l’action de groupe a pour objet de sanctionner des infractions de professionnels du droit de l’Union mentionnées à l’annexe I de la même directive ;
- Le ministère public, en ce qui concerne l’action de groupe en cessation du manquement (mais il peut intervenir dans toute action de groupe en qualité de partie jointe).
Médiation
A l’article 1er quaterdecies de la proposition de loi, il est prévu que les personnes susceptibles d’exercer une action de groupe peuvent participer à une médiation afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels. Le juge saisi d’une action de groupe peut également, avec l’accord des parties, désigner un médiateur, « pour tenter de parvenir à un accord entre les parties réglant les conditions de l’indemnisation amiable des dommages qui font l’objet de l’action ».
L’article 1er quindecies de la proposition de loi prévoit que tout accord négocié au nom du groupe est soumis pour homologation au juge, qui vérifie s’il est conforme aux intérêts de ceux auxquels il a vocation à s’appliquer et lui donne force exécutoire. L’article 1er duodecies prévoit que :
« Le juge refuse l’homologation si les intérêts des parties et des membres du groupe lui paraissent insuffisamment préservés au regard des termes du jugement sur la responsabilité et peut renvoyer à la négociation pour une nouvelle période de deux mois.
En l’absence d’accord total, le juge est saisi dans le délai [qui ne peut être inférieur à celui fixé pour l’adhésion au groupe par le jugement en responsabilité] aux fins de liquidation des préjudices subsistants. Dans ce dernier cas, le juge statue dans les limites fixées par le jugement sur la responsabilité ».
Registre public des actions de groupe
La proposition de loi (article 1er sexdecies) prévoit la création d’un registre public des actions de groupe en cours devant l’ensemble des juridictions. Initialement, il était prévu que la tenue de ce registre soit confiée au Conseil national des barreaux, mais la proposition de loi a été amendée pour confier cette mission au ministre de la justice.
Tribunaux judiciaires spécialisés
La proposition de loi, à son article 2, confie à des tribunaux judiciaires spécialement désignés la connaissance de l’ensemble des actions de groupe. Dans son avis, le Conseil d’Etat a estimé qu’une telle spécialisation permettrait de renforcer l’efficacité du traitement des actions de groupe qui se caractérisent par leurs spécificités procédurales.
Cout allégé de la procédure
L’article 2 nonies de la proposition de loi prévoit que dans les cas où l’action de groupe intentée présenterait un caractère sérieux, le juge peut décider que l’avance des frais afférents aux mesures d’instruction qu’il ordonne soit prise en charge, en tout ou partie, par l’Etat. En plus, le juge peut mettre à la charge de l’Etat les dépens, pourvu qu’il constate que l’action intentée n’était ni téméraire, ni dolosive.
Selon l’avis du Conseil d’Etat, l’article 2 nonies est en mesure d’assurer la mise en œuvre de l’obligation imposée aux Etats membres par la directive n°2020-1828, article 20, de prendre des mesures visant à garantir que les frais de procédure liés aux actions représentatives n’empêchent pas ceux ayant intérêt à agir d’exercer leur droit.
Une sanction civile indépendante des préjudices subis
L’article 2 undecies de la proposition de loi prévoit l’insertion dans le code civil d’un article 1253. Ce dernier donnerait au juge la possibilité de condamner au paiement d’une sanction civile toute personne reconnue responsable d’un manquement à ses obligations légales ou contractuelles résultant de l’exercice d’une activité professionnelle, pourvu qu’elle ait commis une faute en vue d’obtenir un gain ou une économie indu, et que le manquement constaté ait causé un ou plusieurs dommages à plusieurs personnes physiques ou morales placées dans une situation similaire. Il est prévu par ailleurs que le risque d’une condamnation à la sanction civile n’est pas assurable.
L’objectif recherché par cette disposition est la dissuasion de certains comportements professionnels fautifs, au vu du fait que, même en cas d’un résultat favorable pour les demandeurs dans une action de groupe, le montant de la condamnation de l’entreprise sera souvent inferieur au gain de l’entreprise, du fait que seule une minorité des victimes lésées participeront à l’action.
Actions de groupe transfrontières
L’action de groupe transfrontière est définie à l’article 2 duodecies A de la proposition de loi comme « une action de groupe intentée devant une juridiction ou une autorité compétente d’un Etat membre de l’Union européenne autre que celui dans lequel le demandeur est habilité à exercer ce type d’action ».
L’article 2 duodecies de la proposition de loi dispose que le ministre chargé de la consommation délivre un agrément permettant d’exercer des actions de groupe transfrontières aux personnes morales qui satisfont aux conditions suivantes :
- Elles peuvent démontrer 12 mois d’activité publique réelle dans la protection des intérêts des consommateurs ;
- Elles ont un objet statutaire qui démontre qu’elles ont un intérêt légitime à protéger les intérêts des consommateurs ;
- Elles poursuivent un but non lucratif ;
- Elles ne font pas l’objet d’une procédure d’insolvabilité et ne sont pas déclarées insolvables ;
- Elles sont indépendantes et ne sont pas influencées par des personnes autres que des consommateurs, en particulier par des professionnels, ayant un intérêt économique dans l’introduction d’une quelconque action représentative, y compris en cas de financement par des tiers, et, à cette fin, elles ont mis en place des procédures pour prévenir une telle influence ainsi que les conflits d’intérêts entre elles-mêmes, leurs bailleurs de fonds et les intérêts des consommateurs ;
- Elles mettent à la disposition du public, en des termes clairs et compréhensibles, par tout moyen approprié, en particulier sur leur site internet, des informations démontrant qu’elles répondent aux critères énumérés aux 1° à 5° et des informations sur les sources de leur financement en général, leur structure organisationnelle, de gestion et d’affiliation, leur objet statutaire et leurs activités.
Cet article transpose certains dispositions de la directive n°2020/1828 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs. Il fixe les critères d’habilitation des entités françaises pour l’exercice d’une action représentative dans d’autres Etats membres de l’Union.
[1] Proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, n°639, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 décembre 2022, accessible via : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0639_proposition-loi#
[2] Proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, n°420, enregistré à la Présidence du Sénat le 9 mars 2023, accessible via : http://www.senat.fr/leg/ppl22-420.html
[3] Conseil d’Etat, Avis sur une proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, 9 février 2023, accessible via :https://www.conseil-etat.fr/avis-consultatifs/derniers-avis-rendus/a-l-assemblee-nationale-et-au-senat/avis-sur-une-proposition-de-loi-relative-au-regime-juridique-des-actions-de-groupe
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