Le CBD – Veille juridique n°3
Le CBD, une liberté de circulation sans contrainte ?
Dans l’article précédent, nous avions étudié l’arrêt de la CJUE du 19 novembre 2020 dans l’affaire KANAVAPE.
Dans cet arrêt, la CJUE qualifie le CBD en cause de marchandise et affirme qu’en tant que tel, il est par principe libre de circulation.
La CJUE envisage toutefois l’hypothèse que la juridiction de renvoi[1] relève l’existence d’un risque suffisamment établi pour la santé humaine justifiant une restriction à sa commercialisation. Cette restriction devrait être proportionnelle au but poursuivi et adéquate, c’est-à-dire propre à garantir sa réalisation[2]. Comme nous le disions précédemment, cette hypothèse est peu probable étant donné l’état actuel des connaissances scientifiques sur le CBD.
Si le cannabidiol en cause dans cette affaire est une marchandise libre de circulation, sa commercialisation n’est pas exempte de contraintes. En effet, certaines règles sont à observer que ce soit en matière de packaging et d’allégation (I) ou encore s’agissant de sa mise sur le marché dans le domaine alimentaire (II).
I. Une liberté limitée en matière de packaging et d’allégation.
C’est ce que rappelle la MIDELCA, dans une note publiée le 24 novembre 2020, en réaction à l’arrêt de la CJUE, après avoir indiqué prendre acte des conclusions de la CJUE et avoir souligné que celle-ci « reconnait que l’application du principe de précaution pourrait, sous réserve d’éléments scientifiques probants, justifier une réglementation restreignant la commercialisation des produits à base de CBD »[3].
Précisions : On observe dans cette note que la MIDELCA reste attachée au principe de précaution et envisage d’ores et déjà la possibilité d’une règlementation française en matière de CBD plus restrictive que la réglementation européenne.
En effet, elle maintient sa position d’une appréciation hypothétique des effets du CBD sur la santé humaine, à l’inverse de ce que recommande la CJUE, et avertit contre des effets potentiellement nocifs de la molécule CBD, en précisant qu’elle est encore peu connue.
Pour en revenir à la commercialisation du CBD, la MIDELCA met en garde les metteurs sur le marché. Ils ne doivent pas entrainer de confusion entre le CBD et les médicaments, ni entre le CBD et les stupéfiants.
Pour ce faire, Ils doivent tout d’abord s’abstenir de toute allégation thérapeutique sous peine de sanctions pénales pour méconnaissance des règles relatives aux médicaments. Dans le dossier KANAVAPE, les prévenus qui avaient vanté notamment les vertus relaxantes du CBD ont d’ailleurs été poursuivis, entre autres, pour mise à disposition, commercialisation et distribution de médicament sans autorisation de l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) ; ouverture d’un établissement pharmaceutique sans autorisation préalable et pour avoir réalisé, fait réalisé, diffusé, fait diffuser ou tirer profit de publicités destinées au public en faveur d’un médicament qui n’a pas fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché octroyée par l’agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé[4].
On peut ajouter que l’emballage ou la dénomination du produit peuvent amener le consommateur à se méprendre sur la nature du produit.
Les metteurs sur le marché doivent donc être vigilants à cet égard et veiller également à ne pas entraîner de confusion entre le CBD et le cannabis illégal, au risque de poursuites pénales sur le fondement de l’infraction de provocation à l’usage de stupéfiants et ce même si le CBD en cause respecte les conditions relatives à la variété et au taux de THC[5].
Enfin, la qualification de « produit chimique organique » n’est pas sans incidence, elle entraine l’obligation d’apposer certaines mentions sur l’emballage.
Il convient donc pour le professionnel d’être particulièrement vigilant pour sécuriser ses affaires et son avenir professionnel. En effet, des condamnations pénales peuvent être assorties d’une interdiction d’exercer la profession de commerçant.
Dans le domaine alimentaire, afin de préserver la sécurité alimentaire, la liberté de commercialisation est aussi strictement encadrée.
II. Une liberté limitée par une demande d’autorisation préalable à la commercialisation en raison de la qualité de novel food.
Les novel food ou nouveaux aliments sont, selon la description donnée par l’ANSES, « des aliments ou des ingrédients dont la consommation était négligeable voire inexistante dans les pays de l’Union européenne avant le 15 mai 1997 » [6]. C’est le cas par exemple des graines de chia, plante herbacée originaire d’Amérique du Sud, très à la mode depuis quelques temps.
Un des critères déterminants est l’existence ou non d’un historique de consommation avant le 15 mai 1997 au sein de l’Union Européenne[7]. La qualité de nouvel aliment emporte l’obligation, pour être en conformité avec le Règlement (UE) 2015/2283 sur les nouveaux aliments, de faire une demande d’autorisation préalable à sa mise sur le marché. Il faut noter que l’autorisation accordée par la Commission européenne, n’empêche pas que des législations nationales puissent restreindre la mise sur le marché de ce produit ou de celui dans lequel il est un ingrédient.
Au regard de ce texte et du Catalogue Novel food, le CBD est considéré comme un nouvel aliment. En effet, ce catalogue distingue entre les graines et leurs produits dérivés d’une part et les cannabinoïdes d’autre part.
S’agissant de la première catégorie, le Catalogue Novel Food considère que « Certains produits dérivés de la plante ou de parties de plante Cannabis sativa, tels que les graines, l’huile de graines, la farine de graines de chanvre, les graines de chanvre dégraissées, ont un historique de consommation dans l’UE et ne sont donc pas nouveaux ». Par conséquent, leur commercialisation n’est pas soumise à une demande d’autorisation préalable.
S’agissant de la seconde catégorie, elle comprend : « les extraits de Cannabis sativa L. et les produits dérivés contenant des cannabinoïdes ». Ils sont considérés « comme de nouveaux aliments car un historique de consommation n’a pas été démontré »[8]. La qualification de nouvel aliment emporte donc l’obligation de demande d’autorisation préalable à la mise sur le marché[9].
Des demandes ont déjà été faites en ce sens, elles n’ont, pour l’heure, pas encore fait l’objet d’une décision[10].
Il est à noter que cette obligation s’étend aux produits alimentaires dans lesquels le CBD est ajoutés en tant qu’ingrédient.
En définitive, pour sécuriser son activité économique, il peut être opportun de se rapprocher d’un spécialiste pour des conseils avisés sur le respect de la règlementation en vigueur en matière d’allégation, d’étiquetage et demande d’autorisation. D’autant plus que la situation règlementaire en France est susceptible d’évoluer dans les mois à venir.
Des questions ?
s.brunengo@bblma.eu
04.42.17.02.76 – 06.14.75.01.41
[1] La Cour d’appel d’Aix-en-Provence
[2] CJUE, 19 novembre 2020, point 96
[3] Dont nous avions parlé précédemment, au sujet d’une note qu’elle a publié en 2018 affirmant que les fleurs de chanvre étaient exclues du commerce ; MIDELCA, 24 novembre 2020, Cannabidiol (CBD) le point sur la législation
[4] « faits prévus par les articles L.5421-2 $1, L,5121-8, L.5121-9 AL 4, R5121-36-2 du Code de la santé publique et réprimée par les articles L.5421-2 $I, L,5421-7 AL,2, L.5421-10 du Code de la santé publique » ; « faits prévus par les articles L.5423-3, L.5124-3, L.5124-1, R.5124-6, R.5124-7, R.5124-2 du Code de la santé publique et réprimée par les articles L.5423-3, L.5423-7 AL.2, L.5421-10 du Code de la santé publique » ; Dispositions relatives à la publicité prévues par les articles L5122-1 à L5122-16 du Code de la santé publique.
[5] Article L. 3421-4 du Code de la santé publique
[6] Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail : Nouveaux aliments et ingrédients alimentaires (novel food) | Anses – Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail ;
[7] A côté d’autres critères tenant à la composition, au mode de production, etc.
[8] https://ec.europa.eu/food/safety/novel_food/catalogue/search/public/index.cfm
[9] Cannabinoids : « La plante de chanvre (Cannabis sativa L.) contient un certain nombre de cannabinoïdes et les plus courants sont les suivants: delta-9-tétrahydrocannabinol (Δ9-THC), son précurseur dans le chanvre, l’acide delta-9-tétrahydrocannabinolique A (Δ9-THCA) -A), acide delta-9-tétrahydrocannabinolique B (Δ9-THCA-B), delta-8-tétrahydrocannabinol (Δ8-THC), cannabidiol (CBD), son précurseur dans l’acide cannabidiolique de chanvre (CBDA), cannabigérol (CBG), cannabinol (CBN), cannabichromène (CBC) et delta-9-tétrahydrocannabivarine (Δ9-THCV). Sans préjudice des informations fournies dans le catalogue des nouveaux aliments pour l’entrée relative au Cannabis sativa L., les extraits de Cannabis sativa L. et les produits dérivés contenant des cannabinoïdes sont considérés comme de nouveaux aliments car un historique de consommation n’a pas été démontré. Cela s’applique à la fois aux extraits eux-mêmes et à tous les produits auxquels ils sont ajoutés en tant qu’ingrédient (comme l’huile de graines de chanvre). Cela s’applique également aux extraits d’autres plantes contenant des cannabinoïdes. Les cannabinoïdes synthétiques sont considérés comme nouveaux ».
[10] Gilles Boin, Chanvre dans les denrées alimentaires : focus sur l’état du droit, Revue Lamy Droit Alimentaire, Nº 405, 1er juillet 2020
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